Rien n’est plus normal au bout du compte que la douleur.
L’étrange est parfois qu’on l’oublie. D’avoir goûté à cet état d’inconscience
donne à la plupart des gens le sentiment qu’il est naturel, et que la
conscience du mal qu’on porte en soi tout au contraire est une maladie qu’il
faut chasser. D’où ces cris, ces protestations que je rencontre quand je parle
suivant mon triste cœur, cette prétention qu’on a de m’imposer comme un devoir
un perpétuel optimisme. Je ne connais rien de plus cruel en ce bas monde que
les optimistes de décision. Ce sont des êtres d’une méchanceté tapageuse, et
dont on jurerait qu’ils se sont donné pour mission d’imposer le règne aveugle
de la sottise. On me dit le plus souvent que l’optimisme est un devoir, parce
que si nous voulons changer le monde, il faut croire d’abord que c’est
possible. […] Je sais cependant que si vous voulez changer le monde, vous ne le
ferez pas sans l’aide puissante de ceux qui ne se sont pas fait pour règle de
conduite la pratique d’avance décidée de l’aveuglement. Je crois au pouvoir de
la douleur, de la blessure et du désespoir. Laissez, laissez aux pédagogues du
tout va bien cette philosophie que tout dément dans la pratique de la vie. Il y
a, croyez-moi, dans les défaites plus de force pour l’avenir que dans bien des
victoires qui se résument le plus souvent qu’à de stupides claironnements.
C’est de leur malheur que peut fleurir l’avenir des hommes, et non pas du
contentement de soi dont nous sommes perpétuellement assourdis.
Aragon, La Valse des
adieux
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