En ce temps de coronavirus, il
est bon de se pencher sur la chauve-souris…
La chauve-souris est un oiseau des
plus étranges. Elle ne parle pas comme l’ara, elle ne siffle pas comme le
merle. On ne peut pas la mettre en cage comme le grillon ou le tigre du
Bengale. Sauf la roussette qui mange la tête en bas… (les plus belles ont un
mètre cinquante ; elles chantent, ou plutôt cacardent comme l’oie). Ce
sont des choses qui confondent l’esprit.
La chauve-souris se marie à deux ans.
Elle est impropre au labour et au trait. […] Les savants lui achètent des
bagues ; elles sont faites en aluminium ; ils les lui passent à
l’avant-bras (elle se met des avant-bras, comme l’impératrice Eugénie !).
Ils la suivent dans ses déplacements.
La chauve-souris est composée de
toutes sortes d’antitragus, de patagiums et d’uropatagiums, sans parler du
propatagium et des lobes post-calcanéens, parmi lesquels une chatte ne
retrouverait pas ses petits. Ce qui en rend l’étude extrêmement compliquée. De loin
en loin, pourtant, au hasard scientifique des patagiums et des propatagiums, on
trouve une « phalange » ou une « cuisse », une « patte
postérieure », une « griffe », parfois une « mamelle
pectorale », ce qui procure l’impression d’une caissière coupée en
morceaux, mêlée à des bouts de cavalière et à des fragments de rat volant. Nul
animal, pourtant, ne ressemble plus à l’homme, et même, à cause des mamelles
pectorales, à la marquise de Pompadour. Si bien que Linné la classait pêle-mêle
dans les « primates », avec le singe et l’homme moyen. Il fallut le
XIXe siècle, armé de la loupe binoculaire et de tous les progrès de
l’industrie, pour faire nettement la distinction. Il fallut les classements de
Cuvier. Jusqu’à lui, le père de famille pouvait se demander logiquement, en
face de son fils nouveau-né, s’il avait bien affaire à l’homme (l’homme de
Platon, l’homme de Montaigne) ou à la pipistrelle de Kuhl. Les profanes,
heureusement, grâce à leur ignorance, parvenait très bien à distinguer :
ce ne fut jamais la chauve-souris qu’on eut l’idée d’envoyer à la guerre et ce
fut toujours à l’homme qu’on fit payer l’impôt.
Alexandre Vialatte, « L’Oiseau de
Mars ou le réveil de la Chauve-souris », L’Oiseau du mois
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