Le troquet
J’ai vu ainsi disparaître,
emportés par le criminel tourbillon du modernisme à tout prix et les jetons de
présence des sociétés anonymes, nombre de ces havres de paix et de franche
camaraderie où dès potron-minet le tourneur sur métaux venait s’enfiler un café
calva pour se donner du cœur à l’ouvrage devant la rude journée, croisant au
comptoir le copain ayant terminé ses trois-huit et qui, lui, arrosait ça d’un
panaché avant d’aller, fourbu, retrouver sa Joconde et se coucher. On se
donnait les nouvelles du jour, celles de l’atelier, on ne tenait pas
conversation, des bribes seulement ; dans le frisquet du petit matin faire
des phrases était vain. Chacun n’était là que de passage, comme en transit
entre deux vies, réfugié une seconde dans cet asile de calme et de sérénité,
juste le temps de reprendre force pour continuer. Dans un coin le poêle
ronflait fort ; d’une simple esquisse de sourire et sans mot dire la
patronne quand même vous rendait foi en l’avenir.
Pierre Autin-Grenier, Friterie-Bar
Brunetti
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