La novlangue, de la « première ligne » à la dernière
On l’aura vue et entendue, celle-là, et ce n’est pas
près de s’arrêter : la « première ligne ». Métaphore militaire
omniprésente dans les médias et le discours officiel.
Les soignants sont ravalés au rang de troupes de
choc bien saignantes. Pourtant, ils n’affrontent ni des tanks ni des mitrailleuses.
Et ne cherchent à tuer personne. Nous employons le pronom ils,
alors que les soignants sont majoritairement des soignantes. Indigence de ces
images belliqueuses tout droit sorties de cerveaux masculins confinés dès avant
le confinement.
Une autre expression, toute électrique, fait florès
dans le discours officiel : « être sous tension ». Les hôpitaux
sont sous tension, etc. Une façon neutre d’éviter de rappeler pourquoi ils sont
débordés et manquent de moyens.
Et combien de fois aurons-nous entendu que les
masques et les tests, « c’est pour la semaine prochaine » ? la
nouvelle version du médiéval : « à Pâques ou à la Trinité » !
Ces périodes de crise sont aussi mortifères pour le
vocabulaire : avez-vous remarqué à quel point tout est devenu « compliqué »
? ce qui fait trépasser une bonne douzaine d’adjectifs ; combien tout
« explose » ? ce qui dispense d’employer une flopée d’autres verbes,
et combien le gouvernement « tranche » ? A force de trancher, que
va-t-il lui rester ?
Enfin, l’on constate que l’administratif
« décès » l’emporte largement sur la « mort ». Le décès,
c’est le non-dit, c’est la mort atténuée. Le soleil et la mort ne se peuvent
regarder en face, alors pour le décès…
Sur l’excellent « blog » des
correcteurs du Monde
https://www.lemonde.fr/blog/correcteurs/