jeudi 30 avril 2020

La novlangue, de la « première ligne » à la dernière


On l’aura vue et entendue, celle-là, et ce n’est pas près de s’arrêter : la « première ligne ». Métaphore militaire omniprésente dans les médias et le discours officiel.
Les soignants sont ravalés au rang de troupes de choc bien saignantes. Pourtant, ils n’affrontent ni des tanks ni des mitrailleuses. Et ne cherchent à tuer personne. Nous employons le pronom ils, alors que les soignants sont majoritairement des soignantes. Indigence de ces images belliqueuses tout droit sorties de cerveaux masculins confinés dès avant le confinement.
Une autre expression, toute électrique, fait florès dans le discours officiel : « être sous tension ». Les hôpitaux sont sous tension, etc. Une façon neutre d’éviter de rappeler pourquoi ils sont débordés et manquent de moyens.
Et combien de fois aurons-nous entendu que les masques et les tests, « c’est pour la semaine prochaine » ? la nouvelle version du médiéval : « à Pâques ou à la Trinité » !
Ces périodes de crise sont aussi mortifères pour le vocabulaire : avez-vous remarqué à quel point tout est devenu « compliqué » ? ce qui fait trépasser une bonne douzaine d’adjectifs ; combien tout « explose » ? ce qui dispense d’employer une flopée d’autres verbes, et combien le gouvernement « tranche » ? A force de trancher, que va-t-il lui rester ?
Enfin, l’on constate que l’administratif « décès » l’emporte largement sur la « mort ». Le décès, c’est le non-dit, c’est la mort atténuée. Le soleil et la mort ne se peuvent regarder en face, alors pour le décès…
Sur l’excellent « blog » des correcteurs du Monde
https://www.lemonde.fr/blog/correcteurs/

mercredi 29 avril 2020



Le pire défaut du régime actuel est de coûter fort cher. Il ne paie point de mine : il n’est pas fastueux. Il n’est brillant ni en femmes ni en chevaux. Mais, sous une humble apparence et des dehors négligés, il est dépensier. Il a trop de parents pauvres, trop d’amis à pourvoir. Il est gaspilleur. Le plus fâcheux est qu’il vit sur un pays fatigué, dont les forces baissent et qui ne s’enrichit plus. Et le régime a grand besoin d’argent. Il s’aperçoit qu’il est embarrassé. Et ses embarras sont plus grands qu’il ne croit. Ils augmenteront encore. Le mal n’est pas nouveau. C’est celui dont mourut l’ancien régime. Monsieur l’abbé, je vais vous dire une grande vérité : tant que l’État se contente des ressources que lui fournissent les pauvres, tant qu’il a assez des subsides que lui assurent, avec une régularité mécanique, ceux qui travaillent de leurs mains, il vit heureux, tranquille, honoré. Les économistes et les financiers se plaisent à reconnaître sa probité. Mais dès que ce malheureux État, pressé par le besoin, fait mine de demander de l’argent à ceux qui en ont, et de tirer des riches quelque faible contribution, on lui fait sentir qu’il commet un odieux attentat, viole tous les droits, manque de respect à la chose sacrée, détruit le commerce et l’industrie, et écrase les pauvres en touchant aux riches. On ne lui cache pas qu’il se déshonore. Et il tombe sous le mépris sincère des bons citoyens. Cependant la ruine vient lentement et sûrement. L’État touche à la rente. Il est perdu.

Anatole France, L’Orme du mail

mardi 28 avril 2020



Mercredi 7 décembre
Saint Ambroise
             C’est toujours la même histoire. On ouvre au hasard le livre, on retrouve la même fleur sèche entre deux pages noires. La mer sans cesse recommence son turbulent manège, pour des bateaux mouillant l’ancre dans des ports connus. Et chaque bout de semaine, un dimanche salissant vient à nouveau s’écraser lourdement contre la vitre. Mais toi, qu’inventerais-tu de singulier si tu tenais en main le monde ?...
             Pas une seconde ne roule plus vite que l’autre pour faire l’heure. Tout est égal. Tout n’est que continuelle répétition. Mais selon la manière d’orienter l’œil, alors se brise l’habitude et se renouvelle le quotidien. Ainsi toute chose devient inédite au regard patient et perspicace et chaque jour vaut d’être surpris. L’enchantement.
             La lassitude et l’ennui de vivre ne finissent par accabler que celui qui, ne connaissant pas encore complètement la rue Ballanche, meurt déjà d’envie de découvrir Rome.
Pierre Autin-Grenier, Les Radis bleus


lundi 27 avril 2020

Diogène


De nos longs travaux sur la civilisation grecque au temps d’Alexandre le Grand résulte ceci qu’on peut considérer à bon droit le vieux Diogène comme père de l’automobilisme, ou, pour parler plus juste, de l’autoneaumobilisme, ou encore du tonneautomobilisme.
Le tonneau qui servait de demeure à Diogène peut être admis comme la première roulotte connue, une roulotte sans chevaux, bien entendu 1.
Quant au mode de traction, ou, pour être tout à fait exact, de propulsion, c’est là que j’apporte ce qu’il y a de plus fraîchement débarqué en fait de documents.
Dans tous les traités d’histoire, mesdames et messieurs, il est question du cynisme de Diogène.
Ce mot cynisme, jusqu’à l’heure présente, fut interprété dans le plus faux des sens.
Un grand nombre de personnes et même de professeurs sont persuadés que Diogène était surnommé le Cynique parce que, n’ayant pas plus de pudeur qu’un chien, il se conduisait comme un cochon, si j’ose m’exprimer ainsi.
Biffez, bonnes gens, cette erreur, de vos tablettes.
Le mot cynisme, en ce qui regarde Diogène, doit être interprété dans un esprit purement sportif, comme, par exemple, hippisme, cyclisme, etc.
Le vieux philosophe grec pratiquait le cynisme comme le comte de Dion la voiture à vapeur, et Jacquelin le vélo, c’est-à-dire que, dans ses déplacements, il faisait rouler son tonneau par deux de ces molosses de Rhodes si réputés pour :
Leur vigueur à la fois et leur docilité.
Les bons toutous prenaient, si j’en crois mes documents, un vif plaisir à pousser de leurs pattes agiles la roulante demeure de leur très sage patron, cependant que le philosophe cheminait derrière eux avec, entre les dents, la pipe morale du mépris de l’humanité.
Ce patriarchal appareil ne rappelle évidemment que de très loin les moto-cars de chez Comiot, mais pour l’époque !...

Alphonse Allais, « Un point d’histoire rectifié », Pour cause de fin de bail

samedi 25 avril 2020



LE MAÎTRE
Et qu’est-ce qu’un homme heureux ou malheureux ?
JACQUES
Pour celui-ci, il est aisé. Un homme heureux est celui dont le bonheur est écrit là-haut ; et par conséquent celui dont le malheur est écrit là-haut, est un homme malheureux.
LE MAÎTRE
Et qui est-ce qui a écrit là-haut le bonheur et le malheur ?
JACQUES
Et qui est-ce qui a fait le grand rouleau où tout est écrit ? Un capitaine, ami de mon capitaine, aurait bien donné un petit écu pour le savoir ; lui, n’aurait pas donné une obole, ni moi non plus ; car à quoi cela me servirait-il ? En éviterais-je pour cela le trou où je dois m’aller casser le cou ?
LE MAÎTRE
Je crois que oui.
JACQUES
Moi, je crois que non ; car il faudrait qu’il y eût une ligne fausse sur le grand rouleau qui contient vérité, qui ne contient que vérité, et qui contient toute vérité. Il serait écrit sur le grand rouleau : « Jacques se cassera le cou tel jour », et Jacques ne se casserait pas le cou ? Concevez-vous que cela se puisse, quel que soit l’auteur du grand rouleau ?
LE MAÎTRE
Il y a beaucoup de choses à dire là-dessus…

Denis Diderot, Jacques le Fataliste et son maître

vendredi 24 avril 2020



Les pauvres et la peste

Une autre sorte d’esclavage qu’on exerce encore en temps de peste, sont les barraques dans lesquelles on renferme les pauvres, comme s’il étoit possible d’imaginer que l’art de purifier l’air, fut l’assemblage en des lieux resserrez de tout ce qui contribuë le plus à son infection ? car il est convenu que les pauvres répandus au large dans toute une Ville, peuvent par leur negligence, leur mauvaise nourriture & leur malpropreté en corrompre l’air, que n’aura-t’on point à craindre de toutes ces causes d’infection ramassées & concentrées dans un seul endroit ? Mais d’ailleurs les devoirs de la charité chrétienne peuvent-t’ils s’accorder avec l’impitoïable dureté d’ôter à des gens destituez de tout, le seul bien qui leur reste, c’est-à-dire la liberté ? On sçait déja, & c’est l’avis de tout le monde, que les pauvres font partie des habitants d’une Ville pestiferée sur laquelle la peste exerce le plus de furie : seroit-ce donc que l’on voulût lui en faire le sacrifice entier en les exposant à une infection plus certaine ? Il paroîtroit du moins qu’on voudroit s’en défaire, tant on se permet de choses à leur desavantage, & pour les éloigner ; car le parti est pris, il faut ou les enfermer ou les barraquer, sinon les obliger à quitter leurs maisons, leurs métiers & les Villes ; car ce n’est pas seulement sur les mendians ou gens sans feu ni lieu qu’on exerce cette inquisition, on l’étend aux artisans mêmes dont on ordonne de viuder les boutiques en obligeant les Maîtres de renvoïer la plûpart de leurs Compagnons… »

Traité de la peste, par un Medecin de la Faculté de Paris (Hecquet), à Paris, rue S. Jacques, chez Guillaume Cavelier fils, 1722, p. 245 à 247.



jeudi 23 avril 2020



Henri Calet a quitté son XIVe arrondissement et continue la visite des « beaux quartiers » :

J’en fais volontiers l’aveu : j’ai toujours été attiré par les quartiers riches. […]

Quel calme dans ces rues droites, quelle propreté. Cela me rappelait la Suisse ou quelque ville d’eaux, toute neuve. De hauts immeubles de construction récente, des hôtels particuliers, des châteaux au fond des parcs ombreux… De la verdure partout, des espaces vides, des façades bien entretenues… ce qui me fait penser que nous aurions grand besoin d’être ravalés, nous, et non seulement les dehors… Comment se fait-il que nous salissions à ce point nos demeures et tout ce que nous touchons ? Nous devons avoir les mains sales.
Les passants, peu nombreux, étaient tous bien habillés. Ils parlaient sans élever la voix, en une langue qui m’a paru être le français, légèrement différent du nôtre cependant, dépourvu du moindre accent. En tout cas, leurs pensées étaient d’une très bonne qualité – c’était visible. Mais pourquoi l’expression de leurs visages était-elle si sérieuse, et même un peu tendue ? C’est bizarre. Ils m’ont donné l’impression d’une classe opprimée.
Et même les deux cantonniers qui mettaient les pavés en équilibre, travaillaient en silence, correctement. Ainsi, rien ne détonnait à cette heure, à part moi : je suis une fausse note, partout.

Henri Calet, Les Grandes largeurs

mercredi 22 avril 2020



J’en fais volontiers l’aveu : j’ai toujours été attiré par les quartiers riches. […]

Je descends à l’Etoile.
Oui, j’aime les vastes et longues avenues qui partent de l’Arc de triomphe, ou qui y aboutissent ; j’aime leurs noms. Il souffle continûment par là une brise de gloire et d’éternité qui ne vient pas dans nos rues où l’on prend, petit à petit, l’habitude de regarder les hommes et les choses par le gros bout de la lorgnette. C’est ce qui nous fait le plus défaut : une certaine ampleur de vue, une certaine élévation de caractère et aussi un certain sens historique. On dirait que nous ne pouvons nous retenir de ramener les événements et leurs causes à notre taille et à notre entendement ; nous sommes de petites gens, en vérité.
S’il nous était permis de nous installer à demeure dans ces quartiers élégants, peut-être, dans cette climature, deviendrions-nous rapidement des personnes présentables. Je crois au tellurisme. Nous finirions par acquérir des pensées neuves et bourgeoises, correctes pour le moins, comme sur mesures, au lieu de ces idées de confection que nous portons.
Henri Calet, Les Grandes largeurs

mardi 21 avril 2020

Les Auvergnats


Ce qui fait l’intérêt de l’Auvergne, c’est qu’elle est remplie d’Auvergnats. S’il faut croire les dernières statistiques, elle en contient même plus que Paris. Les Auvergnats ont des cheveux noirs, des yeux de braise, des dents luisantes et des chandails superposés, les uns marron, les autres aubergine. En laine épaisse. Pour le 15 août, ils en enlèvent un. A la Toussaint ils en rajoutent deux. A la fin de leur vie ils sont devenus pure laine, on se sert du grand’père pour planter des épingles, et le médecin, quand il les ausculte, doit les éplucher comme un oignon.
Les enfants des Auvergnats sont petits, bruns, nourris de saucisson. Certains touristes m’ont affirmé qu’il n’y en a pas… quand le touriste passe, ils se cachent dans le buisson en serrant sur leur cœur leur livret de caisse d’épargne. On les attire avec du lard.
Alexandre Vialatte

lundi 20 avril 2020




             La vulgarité, justement, rien ne lui répugne d’avantage, c’est vraiment ce qu’elle peut le plus difficilement supporter… Heureusement qu’il n’est pas possible que ça s’applique jamais à elle… on ne peut pas dire que son sang, à elle, soit d’une bien jolie couleur, mais elle ne le regarde pas, et qui le regarde ? Quelle importance cela a si rien chez elle ne le révèle, si au contraire on voit chez elle ce qu’on verrait si le sang qui circule en elle avait une ravissante teinte bleue.
             C’est peut-être sous l’effet de ces ondes que s’est mis à répandre autour de lui celui qui a du « sang bleu » que son petit doigt se recourbe encore plus que d’ordinaire, se soulève encore plus haut, s’écarte d’avantage des autres doigts de sa main droite qui enserrent avec précaution l’anse de la tasse de thé, tandis que ses lèvres s’avancent pour absorber délicatement une petite gorgée… que se font mieux entendre les modulations de sa voix et ce qui joue avec une grâce charmante dans son léger accent, un très léger, délicieux accent anglais, dans les mots très « choisis » qu’elle prononce, enfin dans ce qui apparaît dans toute son allure, dans son aspect… elle ne le fait pas exprès, elle ne fait aucun effort… c’est cette sensibilité qu’elle a la chance de posséder, ce raffinement qui la font ressembler à s’y méprendre… qui la rendent tout aussi « distinguée » qu’elle le serait si son sang, à elle aussi, était de ce si joli bleu.
Nathalie Sarraute, Ici

dimanche 19 avril 2020

Les Incipit de Colette (4)


Pour donner envie de lire la suite...

La chatte grise et ravie que je fasse du théâtre. Théâtre ou music-hall, elle n’indique pas de préférence. L’important est que je disparaisse tous les soirs, la côtelette avalée, pour reparaître vers minuit et demi, et que nous nous attablions derechef devant la cuisse de poulet ou le jambon rose… Trois repas par jour au lieu de deux !
La Guérison
*
Il m’arrive souvent de rencontrer Claudine. Où ? vous n’en saurez rien. Aux heures troubles du crépuscule, sous l’accablante tristesse d’un midi blanc et pesant, par ces nuits sans lune, claires pourtant, où l’on devine la lueur d’une main nue, levée pour montrer une étoile, je rencontre Claudine…
Le Miroir
*
La dame qui allait chanter se dirigea vers le piano, et je me sentis tout à coup une âme féroce, une révolte concentrée et immobile de prisonnier. Pendant qu’elle fendait difficilement les jupes assises, sa robe collée aux genoux comme une onde bourbeuse, je lui souhaitais la syncope, la mort, ou même la rupture simultanée de ses quatre jarretelles. Il lui restait encore quelques mètres à franchir ; trente secondes, l’espace d’un cataclysme…
La Dame qui chante
*
Ce doux pays, plat et blond, serait-il moins simple que je l’ai cru d’abord ? J’y découvre des mœurs bizarres : on y pêche en voiture, on y chasse en bateau…
En Baie de Somme
*
Vendredi. – Marthe dit : « Mes enfants, on va pêcher demain à la Pointe !... Café au lait pour tout le monde à huit heures. L’auto plaquera ceux qui ne seront pas prêts ! » Et j’ai baissé la tête et j’ai dit : « Chouette ! » avec une joie soumise qui n’exclut pas l’ironie.
Partie de pêche

samedi 18 avril 2020



             Les tenants de ce qu’on a appelé le Nouveau Roman affirmaient que ces œuvres n’étaient pas de simples accidents mais le développement naturel d’un art autonome… Que le roman est un art comme les autres et que, comme les autres, pour vivre et se développer il doit constamment se transformer, découvrir un nouvel ordre de sensations et de nouvelles formes, abandonner des conventions devenues inutiles, gênantes, et créer de nouvelles conventions qui seraient abandonnées à leur tour.
             Ils affirmaient que, le roman étant un art comme les autres, la substance dont il est fait, le langage, en est l’élément essentiel.
             Curieusement, cette affirmation, fondée sur une évidence, a provoqué et provoque encore beaucoup d’indignation et de levées de boucliers.
             Et pourtant, ne suffit-il pas d’ouvrir n’importe quel roman, à n’importe quelle page, pour juger de sa qualité, sans avoir besoin de suivre le développement de l’intrigue ni de connaître les personnages ?
             N’est-il pas évident que, si intéressantes, si excitantes que soient les histoires qu’il raconte, si vivants que soient, ou paraissent être, ses personnages, quelque chose d’essentiel sépare le roman-œuvre d’art du roman tout court. Sépare, disons, pour prendre des exemples dans la littérature américaine, Le Bruit et la Fureur d’Autant en emporte le vent.
Nathalie Sarraute, Le Langage dans l’art du roman

vendredi 17 avril 2020


La Peste             



             En 1347, la Peste Noire, double, triple calamité, surprenait une Europe qui avait totalement oublié ce fléau depuis les violentes, mais fort lointaines épidémies des VIe, VIIe et VIIIe siècles. Elle apparaît alors comme un mal totalement nouveau. Guy de Chauliac, célèbre chirurgien du pape Clément VI, à Avignon, écrivait qu’il n’avait jamais existé pareille épidémie. Car celles qu’on avait connues jusque-là « n’occupèrent qu’une région, celle-ci tout le monde, celles-là étaient remédiables en quelqu’un, celle-ci en nul ». A la Peste Noire de 1347-1350 n’échapperont, en effet, et jusqu’à un certain point seulement, que quelques zones intérieures de l’Europe orientale et, en Occident, le Béarn, le Rouergue, la Lombardie, les Pays-Bas, c’est-à-dire des régions que protégèrent les unes leur isolement, à l’écart des grandes routes que suivit l’épidémie, les autres la prospérité exceptionnelle de populations mieux nourries, donc plus résistantes.
             Les ravages furent sans commune mesure avec ce qu’avaient provoqué les maladies ordinaires, cependant amplifiées depuis plusieurs décennies par les difficultés économiques. En France, la première poussée (1348-1349), qui traversa le pays en son entier, du sud au nord, fut désastreuse : selon les lieux, le quart, le tiers, la moitié, parfois 80 ou 90 % de la population disparurent. La terreur submergea la France, submergea l’Europe. La peste n’allait plus quitter l’Occident ; elle ne cessera d’y aller et d’y venir, de s’effacer ici pour réapparaître là, puis revenir sur ses pas. Un nouveau cycle de sa virulence s’ouvrait, avec à peu près les mêmes traits que celui qui s’était amorcé un millénaire plus tôt.
             Si l’on suit les relevés minutieux du docteur Biraben, il semblerait, au premier abord, que l’épidémie ait été quasi ininterrompue jusqu’en 1670, année qui marqua un arrêt complet (la cruelle épidémie marseillaise de 1720-1722, cinquante ans plus tard, ne touchera que le Sud de la France, réinfesté une fois de plus par voie maritime). En réalité, c’est par poussées intermittentes, coupées d’arrêts et de rémissions, que la maladie frappe, tous les cinq, huit ou dix ans, et en se déplaçant. Sauf en 1629-1636, elle ne met plus jamais en cause, dans le même temps, l’ensemble de notre territoire. Mais elle y tourne sans répit, comme une bête en cage. Cependant, ses méfaits s’atténuent avec le temps : au cours du XVIIe siècle, en moyenne, elle n’aurait augmenté les décès que de 5 à 6 %. Enfin, sans qu’on puisse expliquer pourquoi, elle disparaît complètement de l’Europe au XVIIIe siècle, comme elle l’avait fait six cents ans plus tôt, après avoir sévi des siècles durant. Soit une répétition surprenante d’un même processus. Voilà qui incite à ne pas grossir à l’excès le rôle, pourtant efficace à nos yeux, des mesures sévères d’isolement des villes ou des régions contaminées. L’histoire de la peste semble obéir à un cycle de longue durée.
Fernand Braudel, L’Identité de la France, Les Hommes et les choses


jeudi 16 avril 2020


Les Incipit de Colette (3)

Pour donner envie de lire la suite...

Allume, dans l’âtre, le dernier feu de l’année ! Le soleil et la flamme illumineront ensemble ton visage.
Le Dernier feu
*
Le rouge-gorge triompha. Puis, il alla chanter sa victoire à petits cris secs, invisible au plus épais du marronnier. Il n’avait pas reculé devant la chatte.
Amours
*
Le soleil descend derrière les sorbiers, grappés de fruits verts qui tournent ça et là au rose aigre. Le jardin se remet lentement d’une longue journée de chaleur, dont les molles feuilles du tabac demeurent évanouies. Le bleu des aconits a certainement pâli depuis ce matin, mais les reines-Claude, vertes hier sous leur poudre d’argent, ont toutes, ce soir, une joue d’ambre.
Nonoche
*
 « À ton âge, si j’avais mis de la poudre et du rouge aux lèvres, et de la gomme aux cils, que m’aurait dit ma mère ? Tu crois que c’est joli, ce bariolage, ce… ce masque de carnaval, ces… ces exagérations qui te vieillissent ? »
Ma fille ne répond rien. Ainsi j’attendais, à son âge, que ma mère eût fini son sermon.
Maquillages
*
La guêpe mangeait la gelée de groseilles de la tarte. Elle y mettait une hâte méthodique et gloutonne, la tête en bas, les pattes engluées, à demi disparue dans une petite cuve rose aux parois transparentes. Je m’étonnais de ne pas la voir enfler, grossir, devenir ronde comme une araignée…
Belles-de-jour


😪

L'ignoble Augusto Pinochet n'avait pas réussi à le faire taire. Luis Sepúlveda est mort aujourd'hui à l'hôpital universitaire d'Oviedo, après avoir lutté un mois et demi contre le coronavirus. "El viejo que leía novelas de amor" réussira-t-il à consoler "la gaviota y el gato que le enseñó a volar".
(Le Vieux qui lisait des romans d’amour […] la mouette et le chat qui lui apprit à voler)

mercredi 15 avril 2020


Epidémie et gestes barrières

C’est encore une maniere de se préserver de la peste que d’en faire promptement exhaler le venin, & pour cela on se gardera bien de tenir fermées les maisons ou les fenêtres des lieux infectez ; car il ne faut pas faire avec la contagion comme avec le tonnere, il faut tout ouvrir, afin que le venin étant mis au grand air perde sa force et se dissipe ; car il ne faut point oublier que ce venin consiste souvent dans une très petite portion d’air, à la verité, malignement modifié, mais cependant d’une vertu bornée qui s’affoiblit par consequent & qui se perd dans une grande étenduë d’air, dont l’élasticité superieure à celle d’un atome d’air, absorbe celle-ci, la concentre & la met au neant.
Cependant on tiendra les ruës de la Ville bien nettes, souvent balaïées, pour changer souvent l’air, & souvent baignées d’eau, pour tenir toûjours l’air frais, & chaque particulier se lavera les mains tous les jours avec du vinaigre, il s’en frottera les narines et les temples, il en boira même si on le trouve necessaire. Tout autre remede est presque illusoire ou dangereux, si l’on en excepte cependant les amuletes, lesquels formant autour de chaque particulier une atmosphere propre, mettent dans l’air lui-même un préservatif en même temps qu’ils feront de cet air ainsi modifié, une garde autour de chaque corps. Mais ces amuletes ne doivent jamais être d’odeurs trop douces ou amollissantes, mais avoir au contraire quelque chose de fort, de mâle & de confortant ; le camphre, le citron & l’ail sont en réputation et ils la méritent. Les fumigations domestiques ou faites dans l’interieur des maisons, ne seront point à négliger, faites surtout avec le vinaigre versé sur des briques ardentes, ou bien avec le soufre, la poudre à canon, &c.

Traité de la peste, par un Medecin de la Faculté de Paris (Hecquet), à Paris, rue S. Jacques, chez Guillaume Cavelier fils, 1722, p. 55 à 57.

mardi 14 avril 2020

Borges, à lire d'abord en espagnol pour l’allitération en « r » et « rr », et pour la beauté de la première phrase…



Arrasado el jardín, profanados los cálices y las aras, entraron a caballo los hunos en la biblioteca monástica y rompieron los libros incomprensibles y los vituperaron y los quemaron, acaso temerosos de que las letras encubrieran blasfemias contra su dios, que era una cimitarra de hierro. Ardieron palimpsestos y códices, pero en el corazón de la hoguera, entre la ceniza, perduró casi intacto el libro duodécimo de la Civitas Dei, que narra que Platón enseñó en Atenas que, al cabo de los siglos, todas las cosas recuperarán su estado anterior, y él, en Atenas, ante el mismo auditorio, de nuevo enseñará esa doctrina.
Jorge Luis Borges, El Aleph, Los Teólogos

Le jardin dévasté, les calices et les autels profanés, les Huns entrèrent à cheval dans la bibliothèque du couvent, déchirèrent les livres incompréhensibles, les abominèrent et les brûlèrent, craignant peut-être que les lettres ne recelassent des blasphèmes contre leur dieu, qui était un cimeterre en fer. Palimpsestes et codex brûlèrent, mais au cœur du bûcher, au milieu de la cendre, demeura presque intact le livre douzième de la Civitas Dei, qui rapporte que Platon enseigna à Athènes qu’à la fin des siècles toutes choses reprendront leur état antérieur, et que lui, à Athènes, devant le même auditoire, enseignera de nouveau cette doctrine.
Borges, Les Théologiens, traduction René L. F. Durand

dimanche 12 avril 2020

Pour donner envie de lire la suite...

Les incipit de Colette (2)

Assise, le dos las, les mains ouvertes, je reste là comme une bonne : une promise poyaudine, qui vient de lire la lettre de son « pays » parti sous les drapeaux n’a pas les yeux plus déserts, la pensée plus gourde que moi…
La Retraite sentimentale
*
Autrefois, le rossignol ne chantait pas la nuit. Il avait un gentil filet de voix et s’en servait avec adresse du matin au soir, le printemps venu. Il se levait avec les camarades, dans l’aube grise et bleue, et leur réveil effarouché secouait les hannetons endormis à l’envers des feuilles de lilas.
Les Vrilles de la vigne
*
Toutes trois nous rentrons poudrées, moi, la petite bull et la bergère flamande…
Il a neigé dans les plis de nos robes, j’ai des épaulettes blanches, un sucre impalpable fond au creux du mufle camard de Poucette, et la bergère flamande scintille toute, de son museau pointu à sa queue en massue.
Rêverie du Nouvel An
*
Il n’y a dans notre maison qu’un lit, trop large pour toi, un peu étroit pour nous deux. Il est chaste, tout blanc, tout nu ; aucune draperie ne voile, en plein jour, son honnête candeur. Ceux qui viennent nous voir le regardent tranquillement, et ne détournent pas les yeux d’un air complice, car il est marqué, au milieu, d’un seul vallon moelleux, comme le lit d’une jeune fille qui dort seule.
Nuit blanche
*
Laisse-moi. Je suis malade et méchante, comme la mer. Resserre autour de mes jambes ce plaid, mais emporte cette tasse fumante, qui fleure le foin mouillé, le tilleul, la violette fade…
Jour gris

samedi 11 avril 2020


Arno Schmidt (2)

Du grand Arno Schmidt, ces « calculs », avant de lire Paysage lacustre avec Pocahontas ou Les Émigrants (dans Roses & poireau, Maurice Nadeau éd.), avant d’écrire un journal ou une autobiographie, ou encore avant de lire Monotobio, d’Éric Chevillard, Minuit…

Une seconde « nouvelle forme de prose » résulta pour moi de la considération suivante : que le soir on se remémore le jour écoulé, autrement dit le « passé le plus proche » (qu’on pourrait aussi appeler tranquillement « présent le plus éloigné ») : a-t-on le sentiment d’un « flux narratif » des événements ? En somme, d’un continuum ? On ne trouve absolument pas de flux narratif, même pour ce qui est du présent. Que chacun fasse la comparaison avec la mosaïque endommagée de sa propre journée !
Les événements de notre vie sont beaucoup plus bondissants. Sur la ficelle de l’insignifiance, de l’ennui omniprésent, sont enfilées, comme sur un collier de perles, de petites unités d’expériences intérieures et extérieures. De minuit à minuit il n’y a pas du tout « un jour », mais « 1 440 minutes » (et parmi celles-ci il y a en a tout au plus 50 dignes d’intérêt !)
De cette structure poreuse même de notre perception du présent résulte une existence pleine de trous - : sa restitution au moyen d’un procédé littéraire adéquat fut, en son temps, pour moi, l’occasion de commencer une deuxième série de recherches […]. Le sens de cette « deuxième » forme est donc celui-ci : mettre à la place de la chère fiction d’autrefois d’un « déroulement continu de l’action » une structure de prose plus conforme aux modes de l’expérience humaine et qui, si elle est plus maigre, est aussi plus nerveuse.
(Je mets particulièrement en garde contre la présomption qui ferait prononcer le mot « décadence », mot qui est toujours au bord des lèvres du bourgeois ; par mes techniques précises, « impitoyables », je replace plutôt, à mon avis, notre appareil sensoriel incomplet à sa juste place biologique. A coup sûr, la douce illusion d’une « image de Dieu », singulière et supérieure, est par là encore une fois réduite à néant ; l’aimable mystification qu’est l’idée d’une vie sans interruption, bien remplie (comme celle dont Goethe fait étalage avec un affairement si pénible dans ses entretiens avec Eckermann) ne tient absolument pas compte de la réalité. Ma prose est précisément l’expression nette et économique du fait que notre mémoire, qui est un crible complaisant, laisse échapper tant et tant de chose.)

vendredi 10 avril 2020


Arno Schmidt (1)

Du grand Arno Schmidt, ces « calculs », avant de lire Paysage lacustre avec Pocahontas ou Les Émigrants (dans Roses & poireau, Maurice Nadeau éd.), avant d’écrire un journal ou une autobiographie, ou encore avant de lire Monotobio, d’Éric Chevillard, Minuit…

Le point de départ pour le « calcul » de ces nouvelles formes de prose fut ma réflexion sur le processus du « souvenir » : chaque fois que l’on se souvient d’un quelconque petit ensemble d’expériences, que ce soit « école primaire » ou « un voyage en été » - apparaissent alors en accéléré quelques images très claires (que j’appelle en raccourci : des « photos »), autour desquelles viennent se placer dans la suite du déroulement du « souvenir » des petits fragments explicatifs (des « textes ») : un tel mélange d’« unités photos-textes » est en somme le résultat final de toute tentative consciente de se souvenir.
Naturellement la tâche de l’auteur, tout simplement pour se faire comprendre, consiste à faciliter au lecteur l’identification, la prise en charge des événements, et à former à partir de ce demi-chaos plaisant pour qui l’a vécu une chaîne claire et articulée.
Que ma réflexion soit correcte, toutes les autobiographies le prouvent de la façon la plus frappante. Je prends dans le tas l’inimitable et universellement connu Kügelgen : je le prends, lui, parce que son incomparable œil de peintre (photo !) a enfilé une par une ces images miniaturisées comme en un collier de perles ; et aussi et surtout parce qu’il fut suffisamment honnête pour ne s’exprimer que par de très petits paragraphes. (Par contre Goethe, avec son habituelle bouillie de prose informe, a effacé toutes les sutures ; et justement pour le problème de construction examiné ici un tel badigeonnage de peinture est doublement la mort de toute architecture.)
Ce processus du « souvenir », une des particularités inhérentes à notre structure mentale – quelque chose d’entièrement organique et donc pas du tout artificiel ! – fut pris délibérément comme point de départ d’une série de recherches pratiques qui certes devaient laisser visible le réseau de cristal du « souvenir » en question, mais devait aussi communiquer l’intensité de l’image « d’autrefois » sans l’affaiblir : ainsi, théoriquement, on imposerait au lecteur, par la suggestion, l’illusion que c’est lui-même qui se souvient !

jeudi 9 avril 2020

Aujourd'hui, poésie

Todo texto, toda palabra cambia
según las horas y los ángulos del día o de la noche,
según la transparencia de los ojos que los leen o el nivel de las mareas de la muerte.

Tu nombre no es el mismo,
mi palabra no es la misma
antes y después del encuentro,
antes y después de volver a pensar
que mañana no estaremos.

Cualquier cosa es distinta
si se mira de día o de noche,
pero se vuelven aún más distintas
las palabras que escriben los hombres
y las palabras que no escriben los dioses.

Y no hay ninguna hora,
ni la más promisoria o lúcida o ecuánime,
ni siquiera la hora sin carteles de la muerte,
que pueda equiparar los reflejos,
ajustar las distancias
y hacer que las mismas palabras
digan las mismas cosas.

Todo texto, toda forma, se quiera o no se quiera,
es un mudable, tornasolado espejo
de la furtiva ambigüedad de la vida.
Nada tiene una sola forma para siempre.

Ni siquiera la eternidad es para siempre.

Roberto Juarroz, Decimoquinta poesía vertical
Chaque texte, chaque mot change
selon les heures et les angles du jour et de la nuit,
selon la transparence des yeux qui les lisent
ou le niveau des marées de la mort.

Ton nom n’est pas le même,
ma parole n’est pas la même
avant et après la rencontre
avant et après avoir repensé
que demain nous ne serons plus.

Toute chose est différente
regardée de jour ou de nuit,
mais ils deviennent plus différents encore
les mots qu’écrivent les hommes
et les mots que n’écrivent pas les dieux.

Et il n’y a aucune heure,
ni la plus prometteuse, la plus lucide, la plus impartiale,
ni même l’heure sans quartiers de la mort,
qui puisse équilibrer les reflets,
ajuster les distances
et faire dire aux mêmes mots les mêmes choses.

Chaque texte, chaque forme, qu’on le veuille ou non,
est le miroir changeant, chatoyant,
de la furtive ambiguïté de la vie.
Rien n’a qu’une seule forme pour toujours.

Même l’éternité n’est pas pour toujours

Traduction Jacques Ancet

mercredi 8 avril 2020


La chloroquine, déjà , en M. DCC. XXII.

Je ne crains pas de vous proposer, Monsieur, jusqu’à mes conjectures ; mais je vous supplie de remarquer qu’elles ne roulent que sur des remedes, qui n’ont rien de ces drogues fatales dont on se permet trop volontiers l’usage en matiere de peste, ou pour la guerison de grandes maladies : ce sont d’ailleurs des alterants que je propose, calmants de leur nature, lesquels par consequent ne laissent rien à appréhender de ces troubles désolants qui suivent trop souvent l’usage des évacuants de telle espece qu’ils soient.
Afficher l’image sourceAvec cette précaution j’ai l’honneur de vous proposer l’étonnement où vous serez, Monsieur, je m’assûre, comme moi, quand vous y aurez fait attention ; c’est sur l’oubli où l’on paroît jusqu’à present avoir été touchant l’usage du quinquina donné d’abord pour la guérison de la peste. Toute la Medecine est aujourd’hui convaincuë de la vertu merveilleuse & prompte de ce remede pour guérir les fiévres ; l’on en a étendu l’usage aux fiévres continuës : & un grand Medecin d’Italie vient de faire voir sa vertu specifique pour guerir en peu d’heures des fiévres intermittentes, malignes au point de tuer le malade vers le troisiéme accès : deux autres Praticiens celebres en Angleterre avoient avant lui montré l’usage du quinquina pour la guérison de ces fiévres affreusement malignes, qui surviennent quelquefois après la suppuration des petites veroles confluentes : n’est-ce point une avance déja faite pour l’usage de ce remede dans des cas perilleux & promts qui laissent peu de temps au Medecin pour se reconnoître ? La peste est de ce genre ; et quoiqu’on en publie, c’est une fièvre maligne autant au-dessus des fiévres malignes ordinaires, que ces fiévres malignes sont au-dessus des fiévres continuës. Quel inconvenient donc pourroit-t’il y avoir à donner courageusement ce remede à la maniere de M. Torti, en y mêlant peut-être le nitre ou l’opium même, ou peut-être tous les deux, l’un pour combattre l’ardeur du sang, l’autre pour hâter l’effet du remede ? Un pareil essai tiendroit-t’il de l’empirisme ? ne seroit-ce pas plutôt une pratique à autoriser depuis que les relations nous apprennent que l’on a vû dans ces dernières pestes des malades à qui le quinquina avoit été utile, parce qu’enfin la peste dont ils étoient attaquez avoit dégeneré en fièvre continuë accompagnée de redoublemens. Ceci est du moins une pensée que des Medecins occupez du progrès de leur art, peuvent s’entre-communiquer, surtout sur une matiere si interessante & sur laquelle la Medecine paroît un peu en retard.

Traité de la peste, par un Medecin de la Faculté de Paris (Hecquet), à Paris, rue S. Jacques, chez Guillaume Cavelier fils, 1722, p. 112 à 115.

mardi 7 avril 2020

Pour donner envie de lire la suite...


Les Incipit de Colette (1)


Je m’appelle Claudine, j’habite Montigny ; j’y suis née en 1884 ; probablement je n’y mourrai pas.
Claudine à l’école
*
Aujourd’hui, je recommence à tenir mon journal, forcément interrompu pendant ma maladie, ma grosse maladie – car je crois vraiment que j’ai été très malade !
Claudine à Paris
*
Sûrement il y a dans notre ménage quelque chose qui ne va pas. Renaud n’en sait rien encore ; comment le saurait-il ?
Claudine en ménage
*
Il est parti ! Il est parti ! Je le répète, je l’écris, pour savoir que cela est vrai, pour savoir si cela me fera mal.
Claudine s’en va
*
 « Minne ?... Minne chérie, c’est fini, cette rédaction ? Minne, tu vas abîmer tes yeux ! »
L’Ingénue libertine
*

lundi 6 avril 2020



"Il y a deux manières de devenir ministre : l'une brusquement et par force, l'autre par longueur de temps et par adresse ; la première n'était point à l'usage de M. de Villèle : le cauteleux exclut l'énergique, mais il est plus sûr et moins exposé à perdre la place qu'il a gagnée. L'essentiel dans cette manière d'arriver est d'agréer maints soufflets et de savoir avaler quantité de couleuvres [...]. En général, on parvient aux affaires par ce que l'on a de médiocre, et l'on y reste par ce que l'on a de supérieur. Cette réunion d'éléments antagonistes est la chose la plus rare, et c'est pour cela qu'il y a si peu d'hommes d'Etat.
Afficher l’image sourceM. de Villèle avait précisément le terre à terre des qualités par lesquelles le chemin lui était ouvert : il laissait faire du bruit autour de lui, pour recueillir le fruit de l'épouvante qui s'emparait de la cour. Parfois il prononçait des discours belliqueux, mais où quelques phrases laissaient luire l'espérance d'une nature abordable. Je pensais qu'un homme de son espèce devait commencer par entrer dans les affaires, n'importe comment, et dans une place non trop effrayante. Il me semblait qu'il lui fallait d'abord être ministre sans portefeuille, afin d'obtenir un jour la présidence même du ministère. Cela lui donnerait un renom de modération, il serait vêtu parfaitement à son air ; il deviendrait évident que le chef parlementaire de l'opposition royaliste n'était pas un ambitieux, puisqu'il consentait pour le bien de la paix à se faire si petit. Tout homme qui a été ministre, n'importe à quel titre, le redevient : un premier ministère est l'échelon du second ; il reste sur l'individu qui a porté l'habit brodé une odeur de portefeuille qui le fait retrouver tôt ou tard par les bureaux."
Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe, XXV,13.