lundi 20 avril 2020




             La vulgarité, justement, rien ne lui répugne d’avantage, c’est vraiment ce qu’elle peut le plus difficilement supporter… Heureusement qu’il n’est pas possible que ça s’applique jamais à elle… on ne peut pas dire que son sang, à elle, soit d’une bien jolie couleur, mais elle ne le regarde pas, et qui le regarde ? Quelle importance cela a si rien chez elle ne le révèle, si au contraire on voit chez elle ce qu’on verrait si le sang qui circule en elle avait une ravissante teinte bleue.
             C’est peut-être sous l’effet de ces ondes que s’est mis à répandre autour de lui celui qui a du « sang bleu » que son petit doigt se recourbe encore plus que d’ordinaire, se soulève encore plus haut, s’écarte d’avantage des autres doigts de sa main droite qui enserrent avec précaution l’anse de la tasse de thé, tandis que ses lèvres s’avancent pour absorber délicatement une petite gorgée… que se font mieux entendre les modulations de sa voix et ce qui joue avec une grâce charmante dans son léger accent, un très léger, délicieux accent anglais, dans les mots très « choisis » qu’elle prononce, enfin dans ce qui apparaît dans toute son allure, dans son aspect… elle ne le fait pas exprès, elle ne fait aucun effort… c’est cette sensibilité qu’elle a la chance de posséder, ce raffinement qui la font ressembler à s’y méprendre… qui la rendent tout aussi « distinguée » qu’elle le serait si son sang, à elle aussi, était de ce si joli bleu.
Nathalie Sarraute, Ici

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