La
vulgarité, justement, rien ne lui répugne d’avantage, c’est vraiment ce qu’elle
peut le plus difficilement supporter… Heureusement qu’il n’est pas possible que
ça s’applique jamais à elle… on ne peut pas dire que son sang, à elle, soit
d’une bien jolie couleur, mais elle ne le regarde pas, et qui le regarde ?
Quelle importance cela a si rien chez elle ne le révèle, si au contraire on
voit chez elle ce qu’on verrait si le sang qui circule en elle avait une
ravissante teinte bleue.
C’est
peut-être sous l’effet de ces ondes que s’est mis à répandre autour de lui
celui qui a du « sang bleu » que son petit doigt se recourbe encore
plus que d’ordinaire, se soulève encore plus haut, s’écarte d’avantage des
autres doigts de sa main droite qui enserrent avec précaution l’anse de la
tasse de thé, tandis que ses lèvres s’avancent pour absorber délicatement une
petite gorgée… que se font mieux entendre les modulations de sa voix et ce qui
joue avec une grâce charmante dans son léger accent, un très léger, délicieux
accent anglais, dans les mots très « choisis » qu’elle prononce,
enfin dans ce qui apparaît dans toute son allure, dans son aspect… elle ne le
fait pas exprès, elle ne fait aucun effort… c’est cette sensibilité qu’elle a
la chance de posséder, ce raffinement qui la font ressembler à s’y méprendre…
qui la rendent tout aussi « distinguée » qu’elle le serait si son
sang, à elle aussi, était de ce si joli bleu.
Nathalie Sarraute, Ici
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