Arno Schmidt (1)
Du grand Arno Schmidt, ces « calculs », avant
de lire Paysage lacustre avec Pocahontas ou Les Émigrants
(dans Roses & poireau, Maurice Nadeau éd.), avant d’écrire un journal ou
une autobiographie, ou encore avant de lire Monotobio, d’Éric
Chevillard, Minuit…
Le point de départ pour le « calcul » de ces
nouvelles formes de prose fut ma réflexion sur le processus du
« souvenir » : chaque fois que l’on se souvient d’un quelconque
petit ensemble d’expériences, que ce soit « école primaire » ou
« un voyage en été » - apparaissent alors en accéléré quelques images
très claires (que j’appelle en raccourci : des « photos »),
autour desquelles viennent se placer dans la suite du déroulement du
« souvenir » des petits fragments explicatifs (des « textes ») :
un tel mélange d’« unités photos-textes » est en somme le résultat
final de toute tentative consciente de se souvenir.
Naturellement la tâche de l’auteur, tout simplement pour se
faire comprendre, consiste à faciliter au lecteur l’identification, la prise en
charge des événements, et à former à partir de ce demi-chaos plaisant pour qui
l’a vécu une chaîne claire et articulée.
Que ma réflexion soit correcte, toutes les autobiographies le
prouvent de la façon la plus frappante. Je prends dans le tas l’inimitable et
universellement connu Kügelgen : je le prends, lui, parce que son
incomparable œil de peintre (photo !) a enfilé une par une ces images
miniaturisées comme en un collier de perles ; et aussi et surtout parce
qu’il fut suffisamment honnête pour ne s’exprimer que par de très petits
paragraphes. (Par contre Goethe, avec son habituelle bouillie de prose informe,
a effacé toutes les sutures ; et justement pour le problème de construction
examiné ici un tel badigeonnage de peinture est doublement la mort de toute
architecture.)
Ce processus du « souvenir », une des
particularités inhérentes à notre structure mentale – quelque chose
d’entièrement organique et donc pas du tout artificiel ! – fut pris
délibérément comme point de départ d’une série de recherches pratiques qui
certes devaient laisser visible le réseau de cristal du « souvenir »
en question, mais devait aussi communiquer l’intensité de l’image
« d’autrefois » sans l’affaiblir : ainsi, théoriquement, on
imposerait au lecteur, par la suggestion, l’illusion que c’est lui-même qui se
souvient !
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