vendredi 10 avril 2020


Arno Schmidt (1)

Du grand Arno Schmidt, ces « calculs », avant de lire Paysage lacustre avec Pocahontas ou Les Émigrants (dans Roses & poireau, Maurice Nadeau éd.), avant d’écrire un journal ou une autobiographie, ou encore avant de lire Monotobio, d’Éric Chevillard, Minuit…

Le point de départ pour le « calcul » de ces nouvelles formes de prose fut ma réflexion sur le processus du « souvenir » : chaque fois que l’on se souvient d’un quelconque petit ensemble d’expériences, que ce soit « école primaire » ou « un voyage en été » - apparaissent alors en accéléré quelques images très claires (que j’appelle en raccourci : des « photos »), autour desquelles viennent se placer dans la suite du déroulement du « souvenir » des petits fragments explicatifs (des « textes ») : un tel mélange d’« unités photos-textes » est en somme le résultat final de toute tentative consciente de se souvenir.
Naturellement la tâche de l’auteur, tout simplement pour se faire comprendre, consiste à faciliter au lecteur l’identification, la prise en charge des événements, et à former à partir de ce demi-chaos plaisant pour qui l’a vécu une chaîne claire et articulée.
Que ma réflexion soit correcte, toutes les autobiographies le prouvent de la façon la plus frappante. Je prends dans le tas l’inimitable et universellement connu Kügelgen : je le prends, lui, parce que son incomparable œil de peintre (photo !) a enfilé une par une ces images miniaturisées comme en un collier de perles ; et aussi et surtout parce qu’il fut suffisamment honnête pour ne s’exprimer que par de très petits paragraphes. (Par contre Goethe, avec son habituelle bouillie de prose informe, a effacé toutes les sutures ; et justement pour le problème de construction examiné ici un tel badigeonnage de peinture est doublement la mort de toute architecture.)
Ce processus du « souvenir », une des particularités inhérentes à notre structure mentale – quelque chose d’entièrement organique et donc pas du tout artificiel ! – fut pris délibérément comme point de départ d’une série de recherches pratiques qui certes devaient laisser visible le réseau de cristal du « souvenir » en question, mais devait aussi communiquer l’intensité de l’image « d’autrefois » sans l’affaiblir : ainsi, théoriquement, on imposerait au lecteur, par la suggestion, l’illusion que c’est lui-même qui se souvient !

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