samedi 18 avril 2020



             Les tenants de ce qu’on a appelé le Nouveau Roman affirmaient que ces œuvres n’étaient pas de simples accidents mais le développement naturel d’un art autonome… Que le roman est un art comme les autres et que, comme les autres, pour vivre et se développer il doit constamment se transformer, découvrir un nouvel ordre de sensations et de nouvelles formes, abandonner des conventions devenues inutiles, gênantes, et créer de nouvelles conventions qui seraient abandonnées à leur tour.
             Ils affirmaient que, le roman étant un art comme les autres, la substance dont il est fait, le langage, en est l’élément essentiel.
             Curieusement, cette affirmation, fondée sur une évidence, a provoqué et provoque encore beaucoup d’indignation et de levées de boucliers.
             Et pourtant, ne suffit-il pas d’ouvrir n’importe quel roman, à n’importe quelle page, pour juger de sa qualité, sans avoir besoin de suivre le développement de l’intrigue ni de connaître les personnages ?
             N’est-il pas évident que, si intéressantes, si excitantes que soient les histoires qu’il raconte, si vivants que soient, ou paraissent être, ses personnages, quelque chose d’essentiel sépare le roman-œuvre d’art du roman tout court. Sépare, disons, pour prendre des exemples dans la littérature américaine, Le Bruit et la Fureur d’Autant en emporte le vent.
Nathalie Sarraute, Le Langage dans l’art du roman

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