Le pire défaut du régime actuel
est de coûter fort cher. Il ne paie point de mine : il n’est pas fastueux.
Il n’est brillant ni en femmes ni en chevaux. Mais, sous une humble apparence
et des dehors négligés, il est dépensier. Il a trop de parents pauvres, trop
d’amis à pourvoir. Il est gaspilleur. Le plus fâcheux est qu’il vit sur un pays
fatigué, dont les forces baissent et qui ne s’enrichit plus. Et le régime a
grand besoin d’argent. Il s’aperçoit qu’il est embarrassé. Et ses embarras sont
plus grands qu’il ne croit. Ils augmenteront encore. Le mal n’est pas nouveau.
C’est celui dont mourut l’ancien régime. Monsieur l’abbé, je vais vous dire une
grande vérité : tant que l’État se contente des ressources que lui
fournissent les pauvres, tant qu’il a assez des subsides que lui assurent, avec
une régularité mécanique, ceux qui travaillent de leurs mains, il vit heureux,
tranquille, honoré. Les économistes et les financiers se plaisent à reconnaître
sa probité. Mais dès que ce malheureux État, pressé par le besoin, fait mine de
demander de l’argent à ceux qui en ont, et de tirer des riches quelque faible contribution,
on lui fait sentir qu’il commet un odieux attentat, viole tous les droits,
manque de respect à la chose sacrée, détruit le commerce et l’industrie, et
écrase les pauvres en touchant aux riches. On ne lui cache pas qu’il se
déshonore. Et il tombe sous le mépris sincère des bons citoyens. Cependant la
ruine vient lentement et sûrement. L’État touche à la rente. Il est perdu.
Anatole France, L’Orme du mail
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