lundi 27 avril 2020

Diogène


De nos longs travaux sur la civilisation grecque au temps d’Alexandre le Grand résulte ceci qu’on peut considérer à bon droit le vieux Diogène comme père de l’automobilisme, ou, pour parler plus juste, de l’autoneaumobilisme, ou encore du tonneautomobilisme.
Le tonneau qui servait de demeure à Diogène peut être admis comme la première roulotte connue, une roulotte sans chevaux, bien entendu 1.
Quant au mode de traction, ou, pour être tout à fait exact, de propulsion, c’est là que j’apporte ce qu’il y a de plus fraîchement débarqué en fait de documents.
Dans tous les traités d’histoire, mesdames et messieurs, il est question du cynisme de Diogène.
Ce mot cynisme, jusqu’à l’heure présente, fut interprété dans le plus faux des sens.
Un grand nombre de personnes et même de professeurs sont persuadés que Diogène était surnommé le Cynique parce que, n’ayant pas plus de pudeur qu’un chien, il se conduisait comme un cochon, si j’ose m’exprimer ainsi.
Biffez, bonnes gens, cette erreur, de vos tablettes.
Le mot cynisme, en ce qui regarde Diogène, doit être interprété dans un esprit purement sportif, comme, par exemple, hippisme, cyclisme, etc.
Le vieux philosophe grec pratiquait le cynisme comme le comte de Dion la voiture à vapeur, et Jacquelin le vélo, c’est-à-dire que, dans ses déplacements, il faisait rouler son tonneau par deux de ces molosses de Rhodes si réputés pour :
Leur vigueur à la fois et leur docilité.
Les bons toutous prenaient, si j’en crois mes documents, un vif plaisir à pousser de leurs pattes agiles la roulante demeure de leur très sage patron, cependant que le philosophe cheminait derrière eux avec, entre les dents, la pipe morale du mépris de l’humanité.
Ce patriarchal appareil ne rappelle évidemment que de très loin les moto-cars de chez Comiot, mais pour l’époque !...

Alphonse Allais, « Un point d’histoire rectifié », Pour cause de fin de bail

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