"Il y a deux manières de devenir ministre : l'une
brusquement et par force, l'autre par longueur de temps et par adresse ; la
première n'était point à l'usage de M. de Villèle : le cauteleux exclut
l'énergique, mais il est plus sûr et moins exposé à perdre la place qu'il a
gagnée. L'essentiel dans cette manière d'arriver est d'agréer maints soufflets
et de savoir avaler quantité de couleuvres [...]. En général, on parvient aux
affaires par ce que l'on a de médiocre, et l'on y reste par ce que l'on a de
supérieur. Cette réunion d'éléments antagonistes est la chose la plus rare, et
c'est pour cela qu'il y a si peu d'hommes d'Etat.
M. de Villèle avait précisément le terre à terre des
qualités par lesquelles le chemin lui était ouvert : il laissait faire du bruit
autour de lui, pour recueillir le fruit de l'épouvante qui s'emparait de la
cour. Parfois il prononçait des discours belliqueux, mais où quelques phrases
laissaient luire l'espérance d'une nature abordable. Je pensais qu'un homme de
son espèce devait commencer par entrer dans les affaires, n'importe comment, et
dans une place non trop effrayante. Il me semblait qu'il lui fallait d'abord être
ministre sans portefeuille, afin d'obtenir un jour la présidence même du
ministère. Cela lui donnerait un renom de modération, il serait vêtu
parfaitement à son air ; il deviendrait évident que le chef parlementaire de
l'opposition royaliste n'était pas un ambitieux, puisqu'il consentait pour le
bien de la paix à se faire si petit. Tout homme qui a été ministre, n'importe à
quel titre, le redevient : un premier ministère est l'échelon du second ; il
reste sur l'individu qui a porté l'habit brodé une odeur de portefeuille qui le
fait retrouver tôt ou tard par les bureaux."
Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe,
XXV,13.
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