jeudi 23 avril 2020



Henri Calet a quitté son XIVe arrondissement et continue la visite des « beaux quartiers » :

J’en fais volontiers l’aveu : j’ai toujours été attiré par les quartiers riches. […]

Quel calme dans ces rues droites, quelle propreté. Cela me rappelait la Suisse ou quelque ville d’eaux, toute neuve. De hauts immeubles de construction récente, des hôtels particuliers, des châteaux au fond des parcs ombreux… De la verdure partout, des espaces vides, des façades bien entretenues… ce qui me fait penser que nous aurions grand besoin d’être ravalés, nous, et non seulement les dehors… Comment se fait-il que nous salissions à ce point nos demeures et tout ce que nous touchons ? Nous devons avoir les mains sales.
Les passants, peu nombreux, étaient tous bien habillés. Ils parlaient sans élever la voix, en une langue qui m’a paru être le français, légèrement différent du nôtre cependant, dépourvu du moindre accent. En tout cas, leurs pensées étaient d’une très bonne qualité – c’était visible. Mais pourquoi l’expression de leurs visages était-elle si sérieuse, et même un peu tendue ? C’est bizarre. Ils m’ont donné l’impression d’une classe opprimée.
Et même les deux cantonniers qui mettaient les pavés en équilibre, travaillaient en silence, correctement. Ainsi, rien ne détonnait à cette heure, à part moi : je suis une fausse note, partout.

Henri Calet, Les Grandes largeurs

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